Fusées N°5

Fusées est une « revue d’Art et de Littérature qui s’intéresse au cinéma, au sport et à la gastronomie (…) Qui n’s’intéresse qu’à ça, finalement : au corps ! » -Jean-Pierre Verheggen- et cherche les formes propres (ou sales) « à ouvrir, dans le mur des langues faites, des fenêtres sur du réel non encore fait (pas encore pris au filet symbolique) » -Christian Prigent. Ce remarquable No5, comprenant de nombreuses reproductions de haute qualité -Fred Deux, Dado, Debré, photographies de Patrice Molinard…- donne corps à ce qui détaché de l’effort et des effets de cette entreprise pourrait paraître de belles déclarations de principe. Pour illustrer cela, de multiples dossiers s’emboîtent comme des poupées russes. Christian Prigent, parrainant cinq jeunes auteurs qui cherchent leur langue « dans un glissement rhapsodique entre savoir sophistiqué et idiotie », ausculte ce qui surgit, entre poème et prose sans se soucier des « cloisons génériques ». Un imposant ensemble sur Bernard Noël, de près de cent pages, suit ce qui est en cours -interventions entre autres de François Bon, Michel Surya et Paul Otchakovsky-Laurens d’une touchante lettre. Enfin, un dossier « généalogies » revient sur quelques devanciers. André Biély dont Christian Prigent traduit quelques extraits de Glossolalie, « texte-clef » pour comprendre ce « qui travaille l’aventure de la poésie au XXe siècle » ; Gregory Corso membre de la beat generation, mort récemment, salué par un poème de Mike Golden dont les accents rappellent l’oeuvre du disparu.
D’autres contributions couvrent les autres arts. Notons le bel ensemble consacré au cinéaste Franju et spécialement au film de commande qu’il réalisa autour des abattoirs de Paris en 1948 (un court métrage qu’une seule vision grave à jamais dans votre imaginaire) ; l’excellent entretien qui rend la parole de Jacques Villéglé, interrogeant la modernité de son travail- à partir d’affiches trouvées en pleine rue- et les compagnons d’aventure -Dufrêne, Mension… Annuelle, tirée à mille exemplaires, on ne peut qu’espérer que cette revue au prix élevé mais justifié fera tomber toutes les réticences de ceux qui persistent à préférer un quelconque roman de saison salement imprimé aux véritables malles aux trésors que représentent certaines revues. Celle-ci est autant un livre d’art qu’une anthologie poétique, le vif réceptacle, aussi, de théories zigzaguantes passant du cinéma à la peinture et aux poèmes- lire ; à ce propos, la correspondance Bertin/Dufeu/Pennequin/Tholomé intitulée Poésie de merde, « espace brouillon pour nos bouillantes études ». Laboratoire ouvert à tous, Fusées est bien une fenêtre ouverte sur un réel que nos réalités éteignent, l’expression d’une trouée qui redonne à penser le monde : un travail en cours que rien ne remplace.
Fusées No5
252 pages, 27,44 € (180 FF)
(29, rue Gachet
95430 Auvers-sur-Oise)